Cet article traite des modifications que le ministère des Finances Canada propose d'apporter à l'article 247 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) afin d'éliminer certaines faiblesses perçues des dispositions existantes et d'harmoniser les règles canadiennes en matière de prix de transfert avec le consensus international actuel.

L'empressement de Finances Canada s'explique vraisemblablement par l'arrêt récent Canada c. Cameco Corporation (Cameco). Cette affaire, où les tribunaux canadiens se sont penchés pour la première fois sur les règles de requalification des alinéas 247(2)b) et d) de la Loi, a créé un précédent qui s'est répercuté sur les aspects législatifs et administratifs des prix de transfert.

Mesures législatives proposées

L'arrêt Cameco a montré clairement que l'imprécision des règles actuelles, notamment quant à l'application du principe de pleine concurrence, pouvait donner lieu à différentes interprétations par les contribuables et les tribunaux. Ainsi, dans cette affaire, des profits substantiels ont pu être imposés hors du Canada, malgré l'absence perçue de fonctions dans l'autre pays. Conscient du problème, Finances Canada a proposé, dans son document de consultation du 6 juin 2023, de modifier les paragraphes 247(1) et (2) de la Loi.

Les modifications législatives proposées intégreraient les approches internationales présentées dans l'édition 2022 des Principes applicables en matière de prix de transfert de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ainsi que des ajouts qui, selon Finances Canada, dissiperaient le flou entourant l'application du principe de pleine concurrence.

Essentiellement, le Canada imposerait une analyse de comparabilité en deux étapes et une série de règles connexes.

L'étape 1 consiste à établir le point de départ de la comparaison au cœur du principe de la pleine concurrence. Trois nouveautés sont prévues :

  • l'ajout, au paragraphe 247(1.1), d'une règle de détermination d'une opération qui prévoit la prise en compte des caractéristiques économiquement pertinentes de l'opération contrôlée;
  • l'ajout, au paragraphe 247(1), d'une définition de « caractéristiques économiquement pertinentes » inspirée du libellé de l'édition 2022 des Principes applicables en matière de prix de transfert;
  • un examen approfondi des « conditions » des opérations, facilité par la règle d'interprétation « large » au paragraphe (1.4) et la présomption d'application au paragraphe (2.01) pour les cas où certaines conditions sont inexistantes, mais existeraient si les participants traitaient sans lien de dépendance.

L'étape 2 prévoit les paramètres d'application de la comparaison, c'est-à-dire les cas où les conditions diffèrent de celles que les parties auraient incluses si elles n'avaient eu aucun lien de dépendance dans des circonstances comparables.

Finances Canada propose également d'abroger les règles de requalification des alinéas (2)b) et d) pour les remplacer par des règles de non-reconnaissance et de remplacement aux paragraphes (1.2) et (1.3). S'il est établi que les conditions diffèrent de celles qui auraient existé sans lien de dépendance, la nouvelle règle de redressement du paragraphe (2.02) permettrait d'écarter cette opération pour y substituer une opération qui ressemble autant que possible, dans ses éléments factuels, à l'opération délimitée. En outre, au paragraphe 247(1), une définition de « groupe d'entreprises multinationales » sera ajoutée, et la définition de « prix de transfert » sera modifiée.

Enfin, le nouveau paragraphe (2.03) prévoit que la règle de redressement des prix de transfert au paragraphe (2.02) devra être appliquée en cohérence avec l'édition 2022 des Principes applicables en matière de prix de transfert. Bien que les Principes soient actuellement reconnus comme un guide, ils ne lient ni le législateur ni les tribunaux canadiens. La règle de cohérence, qui existe déjà ailleurs, obligerait le Canada à appliquer les dispositions sur les prix de transfert de façon à optimiser la cohérence avec les Principes.

Effets sur les mesures administratives

Au-delà des modifications législatives, plusieurs mesures administratives pourraient être instaurées pour réduire le fardeau de conformité, accroître la certitude fiscale et harmoniser les exigences canadiennes avec les pratiques internationales.

Premièrement, le Canada adopterait une approche de documentation normalisée axée sur un fichier principal, un fichier local et une déclaration pays par pays, conformément à l'action 13 du rapport final sur le BEPS de l'OCDE. Le gouvernement espère ainsi que l'Agence du revenu du Canada (ARC) obtiendra des renseignements exacts, à jour et pertinents aux fins de vérification et d'évaluation des risques, sans toutefois imposer des charges administratives excessives ou superflues aux contribuables.

Deuxièmement, le gouvernement examine la possibilité d'adopter des dispositions qui simplifieraient les exigences en matière de documentation des prix de transfert pour les petits contribuables ou les transactions de moindre valeur. Par exemple, les contribuables admissibles pourraient satisfaire à ces exigences en produisant un calendrier de déclaration annuelle.

Troisièmement, le gouvernement propose de hausser la pénalité prévue au paragraphe 247(3) pour tenir compte de l'inflation. Le seuil absolu passerait de 5 à 10 millions de dollars, et le seuil relatif de 10 pour cent serait maintenu pour encourager la conformité auprès des petits contribuables.

Finalement, Finances Canada reconnaît que, dans bien des situations, des méthodes simplifiées de fixation des prix pourraient réduire le fardeau de conformité des contribuables et, à terme, le nombre de différends relatifs aux prix de transfert. C'est pourquoi le gouvernement propose des méthodes normalisées pour les services intragroupes à faible valeur ajoutée; des rendements normalisés pour les activités de distribution; et de nouvelles règles applicables aux prêts intragroupes, notamment une durée maximale de cinq ans, l'utilisation de la cote de crédit du groupe d'entreprises multinationales, ainsi que l'élimination des caractéristiques de subordination et des options intégrées.

Conclusion

La consultation de Finances Canada constitue le plus grand chantier en matière de réglementation des prix de transfert depuis l'adoption de l'article 247. Les propositions sont conçues pour accroître la certitude fiscale, réduire les charges administratives et le fardeau de conformité, et suivre ce qui se fait ailleurs en intégrant les meilleures pratiques du projet BEPS et des Principes applicables en matière de prix de transfert de l'OCDE.

L'arrêt Cameco a été largement critiqué pour son incompatibilité avec les orientations récentes sur le BEPS de l'OCDE. En s'engageant à harmoniser les règles canadiennes sur les prix de transfert avec les normes internationales, Finances Canada devrait dissiper en partie l'incertitude post-Cameco. Si les règles de non-reconnaissance et de remplacement sont adoptées, il sera intéressant de voir si l'ARC les utilisera plus fréquemment que la règle de requalification. Le pouvoir de requalification de l'ARC avait été considérablement limité par l'arrêt Cameco, et l'avenir nous dira si les tribunaux appliqueront plus largement les règles de non-reconnaissance et de remplacement proposées. Cela dit, il n'est pas surprenant que Finances Canada cherche à donner aux vérificateurs de l'ARC un deuxième outil, qui s'ajoutera à la disposition standard sur le redressement des prix de transfert.

Finances Canada invite les intéressés à se prononcer sur les changements proposés d'ici le 28 juillet 2023.

Si vous avez des questions ou des commentaires sur les propositions, communiquez avec Pierre Alary ou André Bergeron.