Le 9 mai 2024, les ministres Geneviève Guilbault, ministre des Transports et de la Mobilité durable, et Jonatan Julien, ministre responsable des Infrastructures et ministre responsable de la région de la Capitale-Nationale, ont déposé deux importants projets de loi qui viendraient substantiellement changer le droit au Québec concernant le mode d'octroi des contrats pour la réalisation de projets majeurs d'infrastructure publique. En effet, la ministre Guilbault a déposé le projet de loi n61, la Loi édictant la Loi sur Mobilité Infra Québec et modifiant certaines dispositions relatives au transport collectif (« PL-61 ») et, pour sa part, le ministre Julien a déposé le projet de loi no 62, la Loi visant principalement à diversifier les stratégies d'acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d'agilité dans la réalisation de leurs projets d'infrastructure (« PL-62 »). Ces deux projets de loi sont susceptibles d'avoir des impacts majeurs sur les divers processus d'attribution des projets complexes de bâtiments institutionnels et d'infrastructures liées au transport.

1. Principaux changements prévus dans le PL-61
et le PL-62

Les principaux changements envisagés par le PL-61 sont les suivants :

  • La création de Mobilité Infra Québec, une nouvelle personne morale mandataire de l'État, qui serait assujettie à la Loi sur la gouvernance des sociétés d'État[1];
  • Cette personne morale aurait pour mission principale de réaliser des analyses d'opportunité ainsi que la planification et la réalisation de projets complexes de transport lorsque le gouvernement lui en confie la responsabilité[2];
  • Un tel projet pourrait viser l'un des objets suivants : (i) la construction, la reconstruction ou la réfection d'un immeuble ou d'un ouvrage de génie civil destiné au transport ou utile à un système de transport; et (ii) le développement ou l'amélioration d'un système de transport intelligent[3];
  • Mobilité Infra Québec disposerait d'une compétence exclusive[4] et de nombreux pouvoirs dans le cadre de la planification ou de la réalisation d'un projet complexe de transport que le gouvernement pourrait lui confier[5];
  • Mobilité Infra Québec pourrait établir des partenariats, par le biais de toute filiale, pour la planification et la réalisation de projets complexes de transport à condition qu'elle détienne le contrôle de cette filiale[6]. Cette filiale détiendrait les mêmes pouvoirs et obligations que Mobilité Infra Québec[7];
  • Mobilité Infra Québec ne serait pas, sauf entente contraire, responsable de l'entretien d'un bien ou de l'exploitation de l'infrastructure de transport[8].

Les principaux changements envisagés par le PL-62 visant les projets majeurs d'infrastructure publique sont les suivants :

  • L'introduction d'un nouveau type de contrat, dit « contrat de partenariat », dans la Loi sur les contrats des organismes publics[9] (la « LCOP »);
  • Le contrat de partenariat viserait tout contrat de réalisation d'un projet d'infrastructure publique par lequel un organisme public visé[10] délègue à un partenaire privé la responsabilité de la conception et de la réalisation de l'infrastructure, ainsi que toute autre responsabilité en lien avec celle-ci, incluant le financement, l'exploitation ou l'entretien[11], et impliquant une approche collaborative[12];
  • L'approche collaborative serait précisée ultérieurement par règlement du Conseil du trésor et pourrait notamment comprendre « la tenue d'ateliers bilatéraux, une mise en commun des ressources et des informations liées au projet d'infrastructure ainsi qu'un partage consensuel des risques et, selon le cas, des économies générées ou des gains réalisés et des pertes subies durant la durée du contrat[13] »;
  • Tout contrat de réalisation d'infrastructure publique réalisé en mode alternatif ou en mode collaboratif, tels que ceux-ci sont décrits à la section 2 du présent article, pourrait ainsi être qualifié de « contrat de partenariat[14] ». Pour la réalisation de ces contrats en mode alternatif ou en mode collaboratif (ou contrats de partenariat), les organismes publics visés bénéficieraient désormais des mêmes assouplissements que pour les contrats de partenariat public-privé, faisant en sorte qu'ils auraient une discrétion dans l'établissement des critères et modalités de leur appel d'offres public en vue d'inclure une approche collaborative permettant de leur offrir la meilleure valeur pour la réalisation de leur projet d'infrastructure[15];
  • De façon concordante, le PL-62 introduit divers assouplissements législatifs pour permettre la mise en œuvre de ces contrats de partenariat[16].

Les changements législatifs envisagés par ces projets de loi s'inscrivent dans le cadre de la Stratégie québécoise en infrastructures publiques et vont de pair avec ceux introduits dans le projet de loi no 51 visant à moderniser l'industrie de la construction[17], déposé à l'hiver 2024 et présentement à l'étude[18].

2. Les modes d'octroi de contrat au Québec

Depuis l'apparition des modes alternatifs de réalisation de projet au Canada, incluant au Québec, au début des années 2000, les modes de réalisation se sont raffinés en fonction des projets réalisés. L'approche plus complète des projets de conception, construction, financement, exploitation et entretien (« CCFEE » ou « PPP ») a cédé le pas dans plusieurs circonstances à des projets en mode alternatif de conception-construction (« CC ») ou de conception-construction-financement (« CCF »), auxquels les composantes d'exploitation et d'entretien peuvent être incorporées.

Au cours des dernières années, le gouvernement du Québec a Pour sa part, expérimenté divers types de contrats en mode dit « alternatif » comme les contrats de type CC et CCF en vue de combler certaines lacunes du mode dit « conventionnel », notamment par le biais des Transports et de la Mobilité durable et de la Société québécoise des infrastructures. Maintenant, la tendance du marché nord-américain est de développer le mode dit « collaboratif » ou en « partenariat » pour certains projets complexes impliquant des risques plus élevés. Afin de bien cerner les changements proposés à la LCOP et aux autres lois, il importe de détailler les nuances et les distinctions entre les différents types de contrats, à savoir :

  • Le mode « conventionnel » :
    • Dans ce type de contrat, l'autorité contractante effectue une conception complète et détaille celle-ci dans des plans et devis finaux et s'engage dans un processus d'appel d'offres. Ce dernier processus vise l'octroi d'un contrat pour un prix forfaitaire au plus bas soumissionnaire conforme.
    • L'entrepreneur soumet un prix forfaitaire et réalise les travaux selon le devis et la conception de l'autorité contractante.
    • Ce mode est relativement rigide et toute divergence avec le devis ou des documents d'appel d'offres pourrait mener à une réclamation ou un différend.
    • Ce mode peut être avantageux dans certains projets où les risques de chantier sont, dans une certaine mesure, déterminables ou connus.
  • Les modes « alternatifs » :
    • Il s'agit de contrats qui incluent normalement la construction, la conception et, parfois, le financement, l'exploitation et l'entretien de l'infrastructure (notamment les CC, CCF, PPP, etc.)
    • Ces modes permettent qu'une conception préliminaire, sous la forme d'exigences techniques complétées à 20% à 50% d'avancement, soit préparée par l'autorité contractante en vue d'un processus d'appel d'offres. Par la suite, des partenaires privés et l'autorité contractante poursuivent ensemble la conception jusqu'à 100 % d'avancement et procèdent au séquencement, à la gestion de l'échéancier et à la réalisation des travaux.
    • Ces modes sont plus avantageux pour les projets dont certains paramètres sont inconnus et où un partage de risque est voulu par l'autorité contractante.
  • Les modes « collaboratifs » ou de « partenariats » :
    • Dans ce type de contrat, l'approche est très différente en ce que l'autorité contractante choisit une équipe pour la réalisation du projet (professionnels et entrepreneurs) avec laquelle elle participera à l'élaboration de la conception et au développement de la solution. Il s'agit notamment des contrats de type « réalisation de projet intégrée » (« RPI » ).
    • Ainsi, il ne s'agit pas uniquement de retenir les services d'un entrepreneur pour réaliser les travaux, mais bien de faire une conception et une réalisation en collaboration avec les parties impliquées.
    • Ces modes impliquent aussi normalement une renonciation des parties à tout recours ou réclamation ainsi que l'établissement d'un prix cible pour la réalisation du projet. Ces projets sont aussi normalement réalisés à « livres ouverts » et les entrepreneurs doivent divulguer des informations financières concernant le projet.
    • L'objectif de ces modes est d'aborder tout problème ou risque lors du projet de façon collaborative ou en partenariat.

Il importe de noter que tous ces modes doivent être vus comme des outils qui peuvent être utilisés selon leurs forces respectives et selon la nature du projet. Ainsi, les contrats en mode alternatif et en partenariat visent normalement les projets plus complexes et des risques moins bien définis ou difficiles à déterminer.

3. Les limites de certains modes

Depuis le milieu des années 2000, divers projets routiers importants ont été réalisés par le biais de ces modes alternatifs, notamment les projets de parachèvement de l'Autoroute 30 et de l'Autoroute 25 (les deux en PPP), les projets de reconstruction de l'échangeur Turcot et du Pont de l'Île-d'Orléans (les deux en CC) ainsi que les projets de réfection du Tunnel Louis-Hippolyte-La Fontaine et de reconstruction du pont de l'Île-aux-Tourtes (les deux en CCF). La Société québécoise des infrastructures a aussi procédé à des projets pilotes similaires, notamment pour des écoles secondaires, des hôpitaux, des centres de détention, des centres d'entretien et de maintenance et des maisons des aînés.

Parmi les raisons expliquant cette évolution dans les divers modes de réalisation, mentionnons par exemple l'envergure ou la complexité de certains projets, des difficultés particulières sur le plan technique ou sur celui du financement. Ces différents facteurs expliquent que les consortiums favorisent les projets de taille raisonnable et comportant un meilleur partage de risques.

Toutefois, les représentants du gouvernement ont indiqué avoir constaté que certains de ces modes de réalisation présentent des limites ou n'atteignent pas les objectifs recherchés, surtout en matière de compétitivité, de coût et d'échéancier. Ainsi, l'objectif du gouvernement avec les PL-61 et PL-62 est de tenter de limiter les dépassements de coûts, d'accélérer la réalisation des projets, de rendre les grands projets au Québec plus attrayants et d'augmenter la compétitivité lors des processus d'appel d'offres. L'approche présentée par la ministre des Transports et le ministre des Infrastructures, soit de créer une agence des transports nommée Mobilité Infra Québec, et de diversifier les stratégies d'acquisition pour les organismes publics et de leur offrir une plus grande agilité, s'insère dans une tentative d'atteindre ces objectifs.

Actuellement, le PL-61 et le PL-62 ont été déposés à l'Assemblée nationale et devront faire l'objet d'une étude détaillée avant d'être possiblement adoptés par l'Assemblée nationale. Nous verrons à vous tenir informés du cheminement de ces projets de loi au cours des prochains mois.

Pour plus d'information au sujet du PL-61 ou du PL-62 et toute assistance plus générale concernant le droit de la construction et des infrastructures, nous vous invitons à communiquer avec les membres de l'équipe Infrastructures de Gowling WLG.


[1] Loi édictant la Loi sur Mobilité Infra Québec et modifiant certaines dispositions relatives au transport collectif, projet de loi no 61 (présentation - 9 mai 2024), 1re sess., 43e légis. (Qc), art. 1, 68.

[2] Id, art. 4 al. 1.

[3] Id, art. 4 al. 4.

[4] Id, art. 6.

[5] Ces pouvoirs sont notamment : 

  • la possibilité de mettre en valeur des espaces à proximité des bâtiments ou des ouvrages de génie civil d'un projet de transport complexe en lui permettant de vendre un immeuble (ou une partie de celui-ci) ou de permettre à un tiers de construire sur l'immeuble. Voir : art. 4 al. 2, PL-61.
  • le droit d'acquérir, soit de gré à gré ou par expropriation, tout immeuble qu'elle juge nécessaire dans le cadre du projet. Voir : art. 8, PL-61;
  • le droit d'acquérir ou constituer, avec l'autorisation du gouvernement, une filiale. Voir : art. 9, PL-61;
  • la possibilité d'accomplir tous les actes et d'exercer tous les droits d'un propriétaire même si elle ne l'est pas. Voir : art. 24, PL-61.

[6] Le contrôle est exercé soit en ayant 50 % des droits de vote d'une personne morale, 50 % des parts d'une société de personnes ou en ayant le contrôle du commandité d'une société en commandite, tel qu'applicable. Voir art. 10, PL-61.

[7] Id, art. 9.

[8] Id, art. 25.

[9] RLRQ, c. C-65.1

[10] En l'occurrence, le ministère des Transports, la Société québécoise des infrastructures ou tout autre organisme public dans la mesure où le ministre responsable de ce dernier l'y autorise. Voir art. 4 (2) et (3) du PL-62.

[11] Loi visant principalement à diversifier les stratégies d'acquisition des organismes publics et à leur offrir davantage d'agilité dans la réalisation de leurs projets d'infrastructure, projet de loi no 62 (présentation - 9 mai 2024), 1re sess., 43e légis. (Qc), art. 1.

[12] Id, art. 1.

[13] Id, art. 1.

[14] Id, art. 1.

[15] Id, art. 4 (1), 18.

  • [16] Ces assouplissements viseraient entre autres :
    • La possibilité pour l'organisme public de négocier avec un ou plusieurs soumissionnaires. Voir : art. 7, PL-62.
    • Le report du moment requis pour détenir l'autorisation de contracter de l'Autorité des marchés publics. Voir art. 9, PL-62.

[17] Loi modernisant l'industrie de la construction, projet de loi no 51 (étude détaillée - 8 mai 2024) 1re sess., 43 légis. (Qc).

 « Projet De Loi No 51 Visant À Moderniser L'industrie De La Construction : Mesures Clés Pour Les Projets D'infrastructure », Gowling WLG, 5 février 2024, en ligne