Susan H. Abramovitch
Associée
Chef – Groupe du droit du divertissement et du sport
Article
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Cet été, Donald Trump a utilisé non seulement la chanson Freedom de Beyoncé comme trame sonore d’une vidéo de campagne publiée sur les médias sociaux, mais aussi plusieurs chansons emblématiques lors de ses rassemblements, notamment My Hero des Foo Fighters, et une vidéo de Céline Dion interprétant son succès My Heart Will Go On. Ces artistes n’ont pas tardé à réagir en précisant qu’ils n’avaient pas autorisé l’équipe de campagne de Trump à utiliser leurs œuvres.
Ce n’est cependant pas la première fois qu’un artiste s’oppose à ce que ses chansons soient utilisées par une personnalité politique. En 1984, Bruce Springsteen s’était opposé à l’utilisation de Born in the U.S.A. par le président Ronald Reagan. En 2008, Sam Moore avait demandé à Barack Obama de cesser d’utiliser sa chanson Hold on I'm Coming. Les Foo Fighters, Beyoncé et Céline Dion ne sont que les derniers d’une longue liste d’artistes (Rihanna, Phil Collins, Neil Young, Pharrell, les Rolling Stones, Adele, Guns N’ Roses et bien d’autres) qui se sont exprimés sur l’utilisation non autorisée de leurs chansons par Trump. Notre objectif n’est toutefois pas ici d’énumérer ces artistes, mais bien de parler des droits musicaux.
Quels sont les droits requis pour utiliser une chanson dans le cadre d’une campagne électorale? Le dernier mot revient-il à l’artiste? D’autres parties prenantes sont-elles concernées? Alors que la liste des artistes contrariés par les programmations musicales des équipes de campagne ne cesse de s’allonger, nous pensons que le moment est bien choisi pour répondre à ces questions.
Commençons par les bases. Une chanson comporte deux éléments principaux qui sont protégés par les lois canadienne et américaine en matière de droits d’auteur. Tout d’abord, il y a l’œuvre musicale, soit la combinaison et l’arrangement précis de notes de musique et/ou de paroles. En d’autres termes, la chanson qui donne lieu à l’enregistrement sonore. Ensuite, il y a l’enregistrement sonore lui-même (c’est-à-dire la « bande maîtresse »), qui constitue la prestation de l’artiste-interprète.
La musique en public
Lorsqu’une chanson enregistrée est diffusée en public, les deux composantes peuvent entraîner le paiement de redevances d’exécution publique. Ces redevances peuvent devoir être payées lors de l’exécution publique ou lors de la communication par télécommunication d’une œuvre et d’un enregistrement sonore, que ce soit à la radio, à la télévision, devant public ou par diffusion en ligne. Au Canada, jusqu’en 1997, seules les compositions musicales entraînaient le paiement de redevances d’exécution publique. Cela signifie que seuls les éditeurs de musique et les compositeurs avaient droit à un paiement lorsqu’une œuvre, même constituée d’un enregistrement sonore, était diffusée ou exécutée publiquement. Depuis la réforme de la Loi sur le droit d’auteur en 1997, les artistes-interprètes et les « producteurs » (les maisons de disques) ont également droit à un paiement pour la diffusion et l’exécution publique de leurs enregistrements. Cela signifie que la diffusion d’un enregistrement devant public nécessite deux licences :
1) une licence octroyée par la société de gestion chargée de la perception et de la répartition des paiements à l’artiste-interprète et à la maison de disques (Ré:Sonne au Canada);
2) une licence octroyée par la société de gestion chargée de la perception et de la répartition des paiements aux compositeurs et aux éditeurs pour l’exécution de la composition musicale qui a donné lieu à l’enregistrement sonore (la SOCAN au Canada).
La musique dans une vidéo
Pour incorporer une œuvre musicale et son enregistrement dans une vidéo, une licence différente doit être obtenue. Donc, si une organisation politique souhaite utiliser une chanson de Beyoncé dans une publicité télévisuelle, elle devra acquérir une « licence de synchronisation » et une « licence d’utilisation principale ». Ces licences couvrent les droits nécessaires pour incorporer l’œuvre musicale et l’enregistrement dans la vidéo et sont généralement disponibles directement auprès : 1) de l’éditeur de musique (pour l’utilisation de l’œuvre musicale) et 2) de la maison de disques (pour l’utilisation de l’enregistrement de la chanson par l’artiste). Par conséquent, si le contrat entre l’auteur-compositeur/artiste et l’éditeur/la maison de disques prévoit l’approbation de l’auteur-compositeur/artiste pour l’octroi d’une licence de synchronisation ou d’utilisation principale, l’artiste peut refuser à l’organisation politique le droit d’utiliser sa musique dans des vidéos de campagne.
Est-ce aux auteurs-compositeurs et aux artistes de décider si leur musique peut être utilisée lors d’événements publics dans le cadre d’une campagne? Pas nécessairement. Au Canada, lorsqu’un rassemblement politique est organisé, les licences requises pour diffuser dans un espace public des compositions musicales et de la musique enregistrée sont généralement obtenues par le propriétaire du site où se tient le rassemblement et facturées aux responsables de la campagne. Toutefois, les propriétaires des sites plus importants peuvent exiger que le locataire obtienne lui-même la licence. Aux États-Unis, les responsables de campagnes politiques peuvent acquérir des licences de campagne politique (« political campaign licenses »).
Dans tous les cas, les sociétés de gestion peuvent octroyer des licences globales qui permettent à leur titulaire d’utiliser un grand nombre des chansons ou des enregistrements de leurs vastes catalogues. Au Canada, si la musique d’un auteur-compositeur ou d’un artiste fait partie du catalogue de la société de gestion, et si les licences adéquates sont obtenues, l’auteur-compositeur ou l’artiste n’aura pas nécessairement la possibilité de s’opposer à son utilisation. Il en va de même aux États-Unis (bien que cette situation ne s’applique qu’aux compositions), mais si une licence de campagne politique est acquise, les auteurs-compositeurs peuvent s’opposer à l’utilisation de leurs chansons, auquel cas les chansons concernées sont retirées de la licence. Cela signifie que si une équipe politique obtient les licences appropriées, elle aura le droit de jouer My Hero des Foo Fighters sans le consentement de Dave Grohl.
Mais il y a un mais
Même si des droits de licence ont été payés pour utiliser une chanson lors d’un événement public, l’artiste a d’autres possibilités de recours contre l’utilisateur, surtout si ce dernier est une personnalité politique particulièrement controversée. Lorsque la musique d’un artiste est utilisée dans le cadre d’une campagne électorale, l’artiste peut porter plainte pour appropriation illicite des droits de la personnalité. L’appui d’une célébrité vaut souvent son pesant d’or, et les droits de la personnalité sont le droit exclusif d’une personne à exploiter son image ou sa personnalité, y compris sa voix et éventuellement son association à une chanson. Les artistes peuvent également invoquer le délit de commercialisation trompeuse (et l’alinéa 7b) de la Loi sur les marques de commerce au Canada), qui protège contre les présentations fallacieuses résultant de l’utilisation non autorisée du nom ou de l’image d’une personne.
En outre, un artiste pourrait affirmer qu’il y a eu violation de ses droits moraux. Au Canada, les droits moraux sont accordés aux artistes et aux créateurs en vertu de la Loi sur le droit d’auteur. Il s’agit de droits non économiques qui protègent les intérêts personnels des artistes, et plus particulièrement leur réputation. Lorsque les organisateurs d’une campagne politique utilisent une chanson sans l’autorisation directe de l’artiste, celui-ci peut tenter d’invoquer une violation de ses droits moraux d’intégrité et d’association.
Les droits musicaux sont complexes et peuvent attirer l’attention sur un aspect de la campagne que l’équipe politique aurait préféré éviter. Pour en savoir plus sur les licences requises, n’hésitez pas à demander des conseils juridiques.
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