Le décret 142-2025, adopté le 19 février 2025, introduit des modifications majeures au Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics (chapitre C-65.1, r. 5) (ci-après le « Règlement »), lequel encadre les conditions contractuelles applicables aux contrats conclus par les organismes publics québécois. Le Règlement, édicté en vertu de la Loi sur les contrats des organismes publics (ci-après la « LCOP »), vise à assurer une gestion contractuelle rigoureuse, équitable et transparente.

Les modifications apportées par le Règlement modifiant le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics (ci-après le « Décret 142-2025 ») visent à moderniser divers aspects du Règlement et à inclure des concepts qui ont déjà été éprouvés dans plusieurs projets en modes alternatifs comme ceux des modes de construction-conception, construction-conception et financement, et autres. À titre d’exemple, nous référons aux rencontres individuelles avec les proposants et la participation d’un vérificateur du processus, etc.     

En fait, un projet de Règlement modifiant le Règlement sur les contrats de travaux de construction des organismes publics avait été publié le 10 avril 2024, et cette publication avait été l’objet de plusieurs commentaires et représentations de divers organismes et groupes. Le Règlement constitue une réponse à ces représentations ainsi qu’aux besoins de modernisation exprimés par les parties prenantes du secteur public et privé. Il reprend les grandes lignes du projet de 2024, tout en y intégrant des précisions, des ajouts structurels et des suppressions ciblées. Le tout contribue à créer un cadre contractuel plus clair, plus transparent, et mieux adapté aux grands projets d’infrastructures publics.

Le présent article examine les modifications réglementaires apportées, leur portée juridique et les implications pratiques pour les praticiens du droit de la construction et les gestionnaires contractuels. Voici les grandes lignes des modifications au Règlement :

  1. Clarification des exigences en matière de conformité des soumissions

    Les articles 7 et 7.0.2. sont respectivement modifiés et introduits par le Décret 142-2025. Ils précisent les cas de non-conformité pouvant mener au rejet d’une soumission. Le rejet automatique demeure la norme pour les critères mentionnés à l’article 7 dont, notamment :

    1. Le non-respect de la date et de l’heure limite fixées pour la réception des soumissions et, dans le cas d’une soumission transmise sur support papier, le non-respect du lieu désigné pour sa réception;
    2. L’absence d’une garantie exigée ou l’absence de signature sur une telle garantie;
    3. L’absence du document constatant l’engagement du soumissionnaire ou du document relatif au prix soumis ou l’absence d’une signature requise d’une personne autorisée sur l’un ou l’autre de ces documents;
    4. Dans le cas d’une soumission transmise par voie électronique, le fait qu’elle ne l’ait pas été par l’intermédiaire du système électronique d’appel d’offres.

    Toutefois, un changement majeur est apporté ici : le rejet d’une soumission conditionnelle n’est plus automatique et est décidé de manière discrétionnaire. Par le passé, les soumissions qui comportaient des conditions ou encore des restrictions étaient automatiquement rejetées et les organismes publics n’avaient aucune marge de manœuvre pour permettre au proposant de corriger cette situation. Nous pouvons notamment penser au cas du proposant qui dépose une proposition et que celle-ci est sujette à un financement, à l’acquisition d’un équipement ou à des modifications des documents contractuels. Dans ces cas, il n’était pas possible pour le proposant de retirer la condition ou la restriction et sa proposition était rejetée automatiquement. Cette nouvelle disposition va permettre aux organismes publics d’informer le proposant de la problématique et, le cas échéant, leur offrir de maintenir ou de retirer la condition ou la restriction. Il serait aussi possible pour l’organisme public de considérer cette proposition selon la nature de la restriction ou de la condition tout en respectant les obligations usuelles d’équité entre les proposants. 

    Il en est de même pour les garanties financières qui ne respectaient pas exactement la forme et les conditions prescrites. Cet ajout permet maintenant les modifications ou le remplacement de la garantie par une garantie conforme. Cette situation peut survenir lorsque les garants sont des institutions financières étrangères et que les formulaires de garantie diffèrent de leurs garanties standardisées.

    Toutefois, l’absence d’une garantie financière ou d’une signature exigée sur cette garantie demeure fatale pour la proposition et entraîne un rejet automatique.

    Ces clarifications précisent le pouvoir discrétionnaire des organismes publics lors de l’analyse de la conformité, ce qui peut améliorer l’équité entre soumissionnaires.

  2. Encadrement renforcé des garanties contractuelles

    L’article 10 modifié et le nouvel article 11 imposent désormais que, pour tout contrat de plus de 2 000 000 $, une garantie de soumission soit exigée, accompagnée d’une garantie d’exécution et d’une garantie couvrant les obligations pour gages, matériaux et services. Cela marque un recentrage sur la gestion des risques contractuels et une modification substantielle par rapport au projet de règlement de 2024 qui avait proposé de retirer entièrement les garanties

    À l’article 10 du Règlement, le législateur insiste également sur l’obligation de tenir compte du montant, de la complexité et des risques du contrat dans l’analyse de la pertinence d’exiger ces garanties…

  3. Réforme du traitement des soumissions à prix anormalement bas

    Le législateur a substantiellement modifié les articles 18.4 à 18.9, notamment en remplaçant le comité d’analyse par l’organisme public lui-même. Ce dernier devient responsable de l’examen et de la justification des prix anormalement bas ayant été reçus dans les propositions. Cette simplification vise à alléger les procédures tout en maintenant un contrôle sur les soumissions potentiellement problématiques. De plus, il est raisonnable de penser que le législateur estime que l’organisme public dispose de la meilleure position pour analyser et comprendre les propositions comportant des prix anormalement bas... Toutefois, ceci soulève d’importantes questions pour les cas où les ressources des organismes publics sont limitées, elles ne possèdent pas les ressources nécessaires ou l’évaluation des coûts pour le projet de l’organisme public est erronée.

    La suppression de l’article 18.9, concernant la communication des informations au Secrétariat du Conseil du trésor, confirme une volonté de réduire les structures parallèles et d’attribuer la responsabilité entière à l’organisme public.

  4. Nouvelles modalités pour les appels d’offres en deux étapes

    Le législateur vise aussi à faciliter considérablement les recours aux appels d’offres en deux étapes, à savoir ceux qui comportent une évaluation à la fois de la Qualité de la soumission et du prix de la soumission.

    L’article 19.1 introduit la possibilité pour un organisme public d’avoir recours à une procédure à deux étapes, ce qui implique aussi la possibilité de restreindre le nombre de proposants pour la seconde étape. Ceci permet notamment à l’organisme public de concentrer ses efforts sur les proposants qui détiennent la capacité et les ressources pour atteindre les objectifs de qualité du projet.

    L’article 22, tel que modifié en 2025, distingue désormais deux scénarios : participation de tous les entrepreneurs ayant atteint le seuil de qualité ou seulement un nombre restreint d’entre eux, évalués selon les articles de l’annexe 5 du Règlement. En vertu de l’article 22, l’organisme public peut aussi déterminer quels proposants seraient sélectionnés pour participer à la seconde étape, à savoir ceux qui ont obtenu les notes finales les plus élevées lors de l’évaluation de qualité.

    Un avantage significatif de ce processus en deux étapes est que l’organisme public peut désormais, en amont de la deuxième étape, tenir des rencontres individuelles avec les entrepreneurs sélectionnés, sous supervision d’un vérificateur externe. Ces rencontres visent à clarifier les besoins de l’organisme, à valider la compréhension des documents d’appel d’offres par les soumissionnaires et à permettre à ceux-ci d’adapter leur proposition. Ces rencontres individuelles sont particulièrement utiles afin de permettre aux experts des soumissionnaires de discuter avec les experts de l’organisme public sur des sujets techniques précis afin de cerner les problèmes possibles, identifier des pistes d’optimisation et de réduire les risques du projet.

    Concernant ce dernier aspect de réduction des risques, les rencontres individuelles sont un moyen très utile pour avoir une meilleure compréhension du partage de risque entre les parties. Il s’agit en fait d’un échange bilatéral sur les possibles problèmes des documents d’appel d’offres et les risques rapportés par les soumissionnaires.  D’une part, les soumissionnaires cherchent à réduire les risques du projet et à communiquer une soumission compétitive et reflétant adéquatement les risques. Le partage de risque du projet doit aussi refléter les conditions du marché et être commercialement acceptable pour les soumissionnaires. De surcroît, les soumissionnaires désirent normalement que les erreurs qui peuvent être présentes dans les documents d’appel d’offres soient signalées et corrigées afin que tous les soumissionnaires préparent leurs propositions respectives sur des bases égales. Ceci éviterait notamment la possibilité d’avoir une soumission à prix anormalement bas qui ne considère pas un aspect technique ou une erreur dans les documents d’appel d’offres. 

    Pour sa part, l’organisme public peut par ces rencontres individuelles recevoir les commentaires des soumissionnaires sur les documents d’appel d’offres et sur la faisabilité technique de certains aspects. Il est vrai que processus déjà existant avec les questions écrites permettent de répondre à certaines questions, mais un échange confidentiel entre experts apporte une valeur ajoutée et peut permettre un approfondissement du sujet et favoriser une compréhension mutuelle plus complète. Dans les faits, les participants peuvent discuter des risques relevés dans le projet et du partage de risque, à titre d’exemple, les risques géotechniques, ceux liés aux services publics ou aux intervenants ou aux questions de permis ou environnementales.    

    Selon notre expérience pour les rencontres dans les modes alternatifs, il est important de noter qu’un sujet est normalement exclu de ces rencontres individuelles, à savoir : les questions de prix et des coûts. Les parties peuvent discuter des sujets qui portent sur les volets contractuels (i.e. : conditions du contrat ou de l’appel d’offres) et les volets techniques. Toutefois, les questions liées aux prix, aux contingences et aux profits sont exclues. Ceci limite aussi l’organisme public de soulever des questions concernant les coûts d’une option ou d’une autre. En fait, il importe de rappeler qu’il ne s’agit pas d’une négociation sur les coûts et le prix du projet, mais bien de préciser les documents d’appel d’offres, de fournir des clarifications et de répondre à des questions des soumissionnaires. 

    Ce mécanisme innovant favorise une meilleure adéquation entre l’offre et la demande, tout en assurant une transparence accrue.

  5. Suppression d’articles et réorganisation des dispositions

    Nous désirons aussi mentionner que certains articles présents dans la version 2024 du décret ont été supprimés dans le Décret 142-2025, notamment les articles 26.2 à 26.8 relatifs aux soumissions à prix anormalement élevés et à la demande d’un nouveau prix. Ainsi, le législateur avait proposé ces modifications et elles n’ont finalement pas été incluses dans la version finale publiée.

    En contrepartie, plusieurs mécanismes sont recentralisés ou intégrés dans d’autres articles (notamment les articles 38 et suivants), ce qui traduit un effort de rationalisation du texte réglementaire.

  6. Mécanismes de transparence et de contrôle accrus pour les travaux d’entrepreneur qualifiés

    Les nouveaux articles 38.1 à 38.8 détaillent les nouvelles règles pour les contrats auprès d’entrepreneurs qualifiés et il s’agit parfois de contrat d’entretien ou de réparation. Ainsi, ces contrats communs et fréquents dans certains organismes publics sont notamment utilisés pour les diverses réparations de réseau d’infrastructure. Ainsi, ces contrats nécessitent des entrepreneurs avec les compétences requises. Pour ces contrats, le Décret 142-2025 introduit une meilleure gestion des demandes de prix et impose des standards en matière de traitement électronique, de publicité et de rigueur dans l’octroi de ces contrats. L’exigence d’un témoin lors de l’ouverture des soumissions et la publication rapide des résultats visent à renforcer la confiance du public dans le processus contractuel.

  7. Considérations environnementales et développement durable

    Le Décret 142-2025 enrichit substantiellement le Chapitre 5 du Règlement en introduisant un volet environnemental. Ainsi, l’article 40 du Règlement élargit le recours aux certifications liées au développement durable. Par ailleurs, les impacts sur la concurrence sont aussi atténués par l’augmentation des seuils, de 5 à 10 % de la marge préférentielle accordée aux soumissionnaires qui incluent les mesures environnementales ou de qualité requises. En d’autres mots, le prix soumis par un entrepreneur ayant inclus ces exigences de qualité ou environnemental sera, aux seules fins de déterminer l’adjudicataire, réduit du pourcentage de marge préférentielle prévu, et cela, sans affecter le prix soumis aux fins de l’adjudication du contrat.

    Ces modifications montrent un virage normatif vers des pratiques d’approvisionnements responsables et durables et visent à intégrer les objectifs du Gouvernement du Québec en matière de développement durable dans les appels d’offres publics et dans les travaux de construction.

  8. Modification à l’annexe 5 et introduction du paramètre K

    Un changement qui est aussi intéressant est la modification de l’annexe 5 du Règlement afin de modifier la formule de pondération. En fait, l’ancienne formule de pondération qualitative était basée sur un taux fixe de 15 % et ce taux a été remplacé par un paramètre « K », personnalisable selon le type de contrat (de 15 % à 30 % pour les travaux, jusqu’à 40 % pour les contrats mixtes). Ce changement confère aux donneurs d’ouvrage une latitude accrue pour hiérarchiser les dimensions qualité/prix.

Conclusion

Avec le Décret 142-2025, le gouvernement du Québec procède à une refonte en profondeur du cadre réglementaire encadrant les contrats de travaux de construction des organismes publics. Les ajustements introduits traduisent une volonté manifeste de modernisation, tant sur le plan procédural que sur celui des valeurs à promouvoir dans la commande publique : transparence, souplesse, responsabilité environnementale et efficience administrative.

En ouvrant la voie à de nouvelles pratiques contractuelles – telles que les appels d’offres en deux étapes, les rencontres individuelles supervisées, ou encore l’ajustement des critères qualitatifs – le législateur donne aux organismes publics des outils plus adaptés à la complexité croissante des projets d’infrastructure. Par ailleurs, l’encadrement renforcé des garanties, la reconnaissance des soumissions à prix anormalement bas, et l’intégration explicite d’exigences liées au développement durable marquent un alignement avec les meilleures pratiques observées à l’international.

Cependant, ces avancées réglementaires ne seront pleinement efficaces que si elles s’accompagnent d’une réelle appropriation par les praticiens, d’une formation adéquate des intervenants, et d’une mise à jour rigoureuse des pratiques internes au sein des organismes adjudicateurs. C’est dans ce contexte que l’équipe d’infrastructure de Gowling WLG est spécialement bien outillée pour vous assister dans la mise en œuvre de ces modifications et afin d’en maîtriser les nouvelles subtilités.