Nous avons récemment publié un article sur les problèmes juridiques soulevés par le phénomène des artistes qui, poussés par la pandémie, effectuent des apparitions en ligne sous forme d'avatars dans des jeux vidéo. Cependant, ces prestations virtuelles ne se limitent pas au monde en ligne. Quand le public se remettra à fréquenter des salles de spectacle partout sur la planète, une fois les restrictions sanitaires levées, des avatars virtuels y seront mis en vedette sous forme d'hologrammes. En effet, grâce à cette technologie, les amateurs de musique pourront revoir Whitney Houston sur scène, près de dix ans après sa mort prématurée. Whitney n'est d'ailleurs pas la première artiste à être ainsi « ramenée à la vie ». Dans les années qui ont suivi la résurrection holographique de Tupac Shakur au festival de musique Coachella en 2012, ce fut au tour de Michael Jackson, Elvis Presley, Frank Zappa, Buddy Holly, Roy Orbison et la grande chanteuse d'opéra Maria Callas de faire des apparitions posthumes sur scène.

Le statut légal de ces reproductions holographiques est flou et ces dernières sont soumises à un ensemble complexe de droits revenant souvent à différentes parties : droits d'auteur sous-jacents sur les enregistrements sonores et les compositions musicales, droits de brevet sur la technologie habilitante, droits de la personnalité du ou des artistes, droits supplémentaires découlant de la succession du défunt.

Avant de monter des spectacles holographiques, les créateurs doivent se livrer à un exercice de coordination exhaustif impliquant les titulaires des différents droits en jeu. Dans ce nouveau domaine, les litiges sont rares jusqu'à présent, mais les intervenants de cette industrie en plein essor feraient bien de s'informer quant aux autorisations nécessaires pour créer de tels spectacles et déterminer à qui reviendront les droits sur le produit fini.

Anatomie d'un hologramme

À l'heure actuelle, deux méthodes permettent de créer des hologrammes mettant en vedette des artistes décédés. La première consiste à compiler des photographies et des séquences vidéo archivées d'un artiste pour créer une performance virtuelle entièrement nouvelle dans le monde réel. C'est la méthode qui a été utilisée pour créer le fameux hologramme de Tupac.

La seconde méthode consiste à joindre de nouvelles images à du matériel d'archives. Tout d'abord, les créateurs d'hologrammes font appel à un acteur pour servir de doublure à l'interprète original. Ces derniers enregistrent de nouvelles séquences de la doublure reproduisant des prestations passées de la célébrité et des prestations entièrement nouvelles, en imitant son langage corporel et ses gestes. Ces images sont ensuite combinées à des images d'archives de la célébrité en vue de créer un composite numérique.

Peu importe la méthode utilisée, la représentation holographique créée et présentée au public est soumise à un ensemble de droits dont il faut tenir compte.

Les hologrammes et la Loi sur le droit d'auteur

La Loi sur le droit d'auteur protège plusieurs catégories d'« œuvres » originales[1]. Cependant, et ce n'est pas étonnant, les hologrammes n'y sont pas mentionnés de manière explicite même s'ils possèdent plusieurs des caractéristiques que celles des types d'œuvres nommées dans la Loi. Comme susmentionné, les hologrammes peuvent être constitués de photographies et de vidéos archivées, de même que d'enregistrements d'une doublure. Dans la Loi, les photographies sont classées comme des œuvres artistiques. Les séquences vidéo et nouveaux enregistrements entreraient probablement dans la catégorie des œuvres cinématographiques, une sous-catégorie des œuvres dramatiques, toutes deux définies dans la Loi. Un hologramme constitué d'une sélection de ces œuvres constitutives peut satisfaire à la définition d'une « compilation » au sens de la Loi, laquelle est protégée par le droit d'auteur.

Selon la Loi, une œuvre cinématographique comprend toute œuvre exprimée par tout procédé analogue à la cinématographie, accompagnée ou non d'une bande sonore[2]. Selon que l'on considère un hologramme comme étant une œuvre cinématographique ou une autre forme d'œuvre dramatique, cela pourrait avoir une incidence importante sur les droits disponibles et la façon dont ils peuvent être exercés[3].

Les prestations holographiques et la Loi sur le droit d'auteur

Les droits sur l'œuvre d'un artiste-interprète font partie d'une catégorie de droits appelée « droits voisins » (bien que ce terme ne soit pas utilisé dans la Loi). Les droits voisins sont nommés ainsi parce qu'ils « tirent leur nom du fait que leurs origines sont proches de celles du droit d'auteur. Ils se distinguent du droit d'auteur par l'étendue de la protection qu'ils offrent, et par les sujets auxquels ils se rapportent [4]» [Traduction]. Les droits voisins comprennent également les droits d'exécution sur les enregistrements sonores et les signaux de communication.

Au Canada, les droits d'auteur sur les prestations des artistes-interprètes sont accordés par l'article 15 de la Loi sur le droit d'auteur[5]. Alors que la Loi définit la « prestation d'un artiste-interprète[6] » et les droits afférents[7], elle est muette quant au terme « artiste-interprète ». Dans le cas d'une prestation traditionnelle, cette omission ne poserait probablement pas problème, car l'identité de l'artiste-interprète ou des artistes-interprètes est habituellement évidente. Cependant, comme la nouvelle technologie brouille les cartes, l'identité de cette ou ces personnes peut devenir litigieuse.

La Loi établit que l'artiste-interprète est le premier titulaire du droit d'auteur de sa prestation[8]. Le titulaire d'un tel droit d'auteur peut céder ou concéder sous licence ses droits de propriété à une autre entité[9]. Toutefois, si la prestation holographique est considérée comme une œuvre cinématographique et que l'artiste-interprète autorise l'incorporation de sa prestation dans la représentation par voie  holographique, la Loi limite explicitement l'exercice du droit d'auteur sur la prestation incorporée dans cette œuvre[10]. Compte-tenu qu'avec l'hologramme plusieurs domaines du droit peuvent s'appliquer, il est important que toute question de propriété des droits liée à une prestation soit résolue au préalable et intégrée dans une entente contractuelle.

Si les ententes entre différents titulaires de droits ne définissent pas clairement à qui reviennent les droits en jeu dans l'hologramme, les fans risquent de ne pas voir ou entendre de sitôt les « nouvelles » performances « originales » de leurs artistes préférés qui ont quitté ce monde. Par exemple, les héritiers de Whitney Houston ont pu retarder sa tournée holographique, car après le visionnement d'images en avant-première, un différend a éclaté entre les titulaires de droits soucieux de préserver la valeur de l'artiste. Bien que les parties concernées en soient venues à une entente, de nombreuses représentations prévues dans la tournée internationale ont été annulées en raison de la pandémie de la COVID-19.

Quel avenir pour les hologrammes dans le monde de la musique?

Il reste à confirmer si le phénomène des hologrammes de célébrités décédées est une mode passagère ou s'ils sont là pour rester. Une chose est certaine : cette technologie ne cesse de progresser et commence à gagner en popularité même auprès des vivants. D'ailleurs, les membres du légendaire groupe suédois ABBA, séparés depuis 1982, projettent de se réunir pour lancer de nouvelles œuvres et envoyer leurs avatars en tournée holographique, une fois les restrictions sanitaires levées.

Compte tenu de cette tendance, d'autres artistes contemporains vivants pourraient envisager de mettre en banque leurs propres mouvements et images afin d'en garder le contrôle et d'en préserver la valeur potentielle, que ce soit pour eux-mêmes ou pour leurs héritiers. De même, les sociétés qui se lancent dans des productions holographiques devraient réfléchir à la manière d'acquérir les droits sous-jacents nécessaires et de préserver leurs propres droits alors qu'elles s'aventurent dans cette nouvelle sphère du monde artistique. Pour créer des hologrammes de célébrités et organiser des tournées holographiques réussies avec la participation de toutes les parties prenantes potentielles, il faut rédiger des ententes contractuelles spécifiques entre détenteurs de droits. Si vous êtes l'une de ces parties prenantes, il serait judicieux d'obtenir un avis juridique auprès d'un conseiller capable de déterminer, garantir et protéger vos droits, et de vous montrer quelle est votre valeur réelle et réalisable, et avoir une idée concrète de ce qui vous attend dans un domaine caractérisé par l'intangible.


[1]Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 3 [« la Loi »].

[2] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 2.

[3] Voir la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 17(1), tel que discuté de manière plus détaillée ci-dessous.

[4] Robert W Judge, « Protecting Performers' Performances in light of the Canadian Charter of Rights and Freedoms », (1987) 13 CPR (3d) 1 à 4, citant Ulmer, « The Rome Convention for the Protection of Performers, Producers of Phonograms, and Broadcasting Organizations », Bulletin of the Copyright Society of the USA, vol. X, No 2 (décembre 1962), p 165.

[5] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 15.

[6] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 2.

[7] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 15

[8] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 24.

[9] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 25.

[10] Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. 1985, chap. C-42, art. 17(1).