La saga Spotify : Neil Young cesse de chanter et Joe Rogan continue de parler

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03 février 2022

La semaine dernière, dans une lettre ouverte à Spotify, l'icône du rock canadien Neil Young menaçait de retirer sa musique si Spotify ne retirait pas la balado de Joe Rogan de sa plateforme. M. Young affirme que The Joe Rogan Experience diffuse des mensonges et de la désinformation sur la COVID-19 et les vaccins et que, selon lui, Spotify doit faire le nécessaire pour atténuer les dommages. « Ils peuvent avoir Rogan ou Young. Pas les deux », a déclaré M. Young. Une semaine plus tard, joignant le geste à la parole, il a fait retirer sa musique de la plateforme Spotify qui, selon M. Young, est la source d'environ 60 % des revenus de diffusion en continu qui lui sont versés.



En raison de la nature complexe des droits musicaux, les différends dans ce domaine touchent souvent plus de parties qu'il n'y paraît au premier abord. Dans le cas présent, il faut se demander sur qui d'autre cette décision va rejaillir et quelles sont les pertes de flux de rentrées qui en résulteront. Mentionnons que Joni Mitchell, Gilles Vigneault et d'autres artistes ont également retiré leur contenu de la plateforme. Faut-il s'attendre à ce que d'autres en fassent autant? Et par ailleurs, comment Neil Young est-il parvenu à retirer sa musique de Spotify?

Comment Neil Young est-il parvenu à retirer sa musique de Spotify?

En bref, ce n'est pas lui qui l'a fait, car il ne détient pas le contrôle exclusif de ses œuvres musicales.

Dans le cadre d'un contrat type conclu entre un artiste et une maison de disques, le contrôle des ententes de distribution avec les services de diffusion en continu comme Spotify repose habituellement entre les mains de la maison de disques. Compte tenu de son importante croissance en tant que point de vente de services de musique au cours de la dernière décennie, Spotify jouit d'un pouvoir considérable vis-à-vis des maisons de disques qui lui fournissent les œuvres musicales exploitées. En effet, de nos jours, les ententes de diffusion en continu constituent la principale source de revenus des maisons de disques.

C'est bien en raison de l'initiative de Neil Young que ses œuvres musicales ont fini par être retirées de Spotify. Toutefois, puisque Neil Young n'est pas propriétaire des enregistrements sonores visés, ce n'est pas avec lui que Spotify entretenait une relation contractuelle, mais plutôt avec Warner Music Group, la société propriétaire de la maison de disques de Neil Young, Warner Records. Comme telle, la décision de quitter Spotify appartenait donc à Warner et non à M. Young. (Même si certains grands artistes ont la possibilité de négocier un droit leur permettant d'approuver ou de refuser la conclusion de certaines ententes d'octroi de licence par leur maison de disques, il est rare qu'un artiste ait le droit de retirer ce genre d'approbation une fois qu'il l'a accordée, surtout lorsqu'il est question d'un géant de la distribution comme Spotify.) Cela dit, il n'est certainement pas dans l'intérêt d'une maison de disques d'aller à l'encontre de la volonté d'un artiste de l'envergure et de la popularité de Neil Young. D'où la raison pour laquelle sa demande a été respectée. Soulignons toutefois que Neil Young, Warner Music Group et Spotify ne sont pas les seuls à être touchés par la décision.

Qui d'autre est touché par la décision?

Mis à part la réponse évidente (tous les fans de Neil Young détenteurs d'un compte Spotify), l'éditeur de musique de Neil Young, Hipgnosis, est lui aussi touché par cet acte de défi. Précisons que chaque enregistrement de Neil Young comprend deux droits musicaux distincts : le droit à l'enregistrement et le droit à la composition sous-jacente qui est comprise dans l'enregistrement. La diffusion de musique en continu déclenche le versement de redevances aux propriétaires de la composition musicale de même qu'aux propriétaires de l'enregistrement sonore. Les redevances générées par l'enregistrement sonore sont versées à la maison de disques et à l'artiste, tandis que les redevances générées par la composition musicale sont versées à l'auteur-compositeur et à l'éditeur de musique.

Qui subit les pertes et à combien se chiffrent-elles?

On rapporte que Neil Young, en tant qu'artiste, perdra environ 600 000 $ par an en redevances provenant de la diffusion en continu. Cette somme s'ajoute aux revenus auxquels Warner Records renoncera pour sa part. Ajoutons que Neil Young et Hipgnosis perdront également les revenus d'édition que leur versait Spotify. On rapporte que l'an dernier, les œuvres musicales de Neil Young auraient généré quelque 308 000 $ de revenus d'édition en provenance de Spotify. Sachant que Hipgnosis a ni plus ni moins été forcé de renoncer à sa part de ce montant, certains s'interrogent à savoir si les 154 M$ que Hipgnosis venait de payer le mois dernier pour acquérir le répertoire de Neil Young en valaient la peine.

D'autres artistes en feront-ils autant?

À l'instar de Neil Young, les artistes canadiens Joni Mitchell et Gilles Vigneault ont eux aussi quitté Spotify. Tout comme Neil Young, ces artistes ont eu la chance de bénéficier d'un soutien critique auprès de leurs maisons de disques – un soutien qui ne serait probablement pas accordé aussi facilement à la majorité des artistes. On peut également concevoir que des artistes moins connus ne veuillent pas renoncer à une source de revenus aussi importante, ou qu'ils en soient incapables, d'un point de vue financier. Le nombre de spectacles sur scène ayant été fortement réduit pendant la pandémie, il est fort possible que les revenus générés par la diffusion en continu constituent la seule source de revenus de nombreux artistes. Il est donc à prévoir que bon nombre d'entre eux demeureront pour leur part sur la plateforme, et ce, malgré la volubilité notoire de Joe Rogan.

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