Mathieu Lévesque
Associé
Article
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Gowling WLG est fier d'avoir représenté l'Association des banquiers canadiens à titre d'intervenante devant la Cour suprême du Canada (CSC) dans le cadre d'un appel complexe traitant de lettres de crédit et de l'application de l'exception de fraude.
Le 5 avril 2024, la CSC a rendu sa décision dans l'affaire Eurobank Ergasias S.A. c. Bombardier inc. La majorité de la CSC a rejeté l'appel formulé par Eurobank Ergasias S.A. et a non seulement réitéré, mais aussi adéquatement adapté aux lettres de contre-garantie les principes établis dans sa décision phare, reconnue à l'échelle mondiale, dans l'affaire Banque de Nouvelle-Écosse c. Angelica-Whitewear Ltd, rendue en 1987.
En effet, la décision du 5 avril dernier confirme que les principes juridiques applicables aux lettres de crédit/garantie s'appliquent également aux lettres de contre-garantie, et fournit ainsi plus de prévisibilité aux banques et à leurs clients. Félicitations à Mathieu Lévesque, Patrick Cajvan, Jeff Beedell, Alana Scotchmer, Gowling WLG (Royaume-Uni) ainsi qu'à toute l'équipe pour ce résultat extrêmement positif pour l'industrie et bénéfique pour la stabilité et prévisibilité des échanges commerciaux.
Dans l'affaire en cause, Bombardier a conclu un contrat d'approvisionnement avec le gouvernement grec (le ministère de la Défense de la Grèce ou « MDG »). Il existait également un « contrat de compensation » par lequel Bombardier s'engageait à sous-traiter des travaux à des fournisseurs grecs pour certains programmes. Ce contrat était garanti par une lettre de garantie émise par Eurobank Ergasias (en Grèce) au bénéfice du MDG. Bombardier a obtenu une lettre de contre-garantie correspondante émise par la Banque Nationale du Canada en faveur de l'appelante, Eurobank. Un différend est survenu quant au contrat de compensation, après quoi le MDG a présenté une demande de paiement à Eurobank aux termes de la lettre de garantie.
Bombardier a demandé et obtenu des injonctions provisoires auprès des tribunaux québécois ainsi qu'une ordonnance provisoire du tribunal arbitral de la Chambre de commerce internationale (CCI) en vue d'empêcher le paiement des lettres. Eurobank a pour sa part initialement obtenu une injonction provisoire au même effet auprès d'un tribunal grec. Suite au refus par le tribunal grec de renouveler ladite injonction, et compte tenu du dépôt imminent de la sentence du tribunal arbitral de la CCI, le MDG a signifié à Eurobank une « protestation par invitation extrajudiciaire », lui ordonnant, sous peine de poursuites judiciaires et d'emprisonnement, d'effectuer le paiement aux termes de la lettre de garantie. Peu après que Eurobank ait versé le paiement au MDG, le tribunal arbitral de la CCI a rendu sa sentence finale, déclarant le contrat de compensation nul ab initio. Lorsque la Banque nationale a subséquemment refusé de donner suite à la demande de paiement d'Eurobank aux termes de la lettre de contre-garantie, cette dernière a cherché à obtenir réparation auprès des tribunaux du Québec.
La Cour supérieure du Québec a confirmé sa compétence et a rejeté la demande de paiement présentée par Eurobank sur la lettre de contre-garantie en se fondant sur l'exception de fraude. La Cour a considéré que la lettre de contre-garantie était inexécutoire et a interdit à la Banque Nationale d'effectuer paiement en vertu de cette dernière. La Cour a homologué la sentence finale du tribunal arbitral de la CCI et a ordonné au MDG de s'y conformer. La Cour d'appel du Québec a confirmé la décision du tribunal de première instance, mais à toutefois retiré l'ordonnance de cette dernière enjoignant au MDG de se conformer à la sentence arbitrale finale.
L'Association des banquiers canadiens a demandé l'autorisation d'intervenir devant la CSC au nom du secteur bancaire afin de plaider pour que :
Dans l'arrêt Angelica-Whitewear, rendu il y a 37 ans, la CSC a établi que le fardeau de preuve doit être évalué différemment selon que l'exception de fraude est invoquée i) par une partie cherchant à empêcher un paiement en vertu d'une lettre de crédit au moyen d'une procédure d'injonction, ou ii) par une banque émettrice d'une lettre de crédit dans sa propre évaluation des circonstances lorsqu'elle décide s'il y a lieu de l'honorer ou non. Dans le premier cas, il faut démontrer à un tribunal par voie d'injonction qu'il existe une solide preuve prima facie de fraude pour empêcher le paiement. Dans le second, il faut plutôt que la fraude soit claire et évidente et suffisamment établie à la connaissance de la banque émettrice.
La majorité de la CSC a en bout ligne décidé que, compte tenu que la banque grecque (Eurobank), en tant que bénéficiaire de la lettre de contre-garantie canadienne, était au courant de la « fraude » (au sens du droit civil) perpétrée par le gouvernement grec (« MDG ») et y avait participé, cette fraude pouvait également être imputée à la banque grecque, comme s'il s'agissait de la sienne.
Fournissant une analyse très étoffée, la CSC a pris soin de renforcer et de bien adapter certains principes clés établis dans l'affaire Angelica-Whitewear :
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