Lorraine Mastersmith
Associée-directrice nationale
Article
Afin de recueillir les commentaires des personnes intéressées à ce sujet, les organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières ont publié un document de consultation visant un projet d’encadrement pour la réglementation des plateformes de négociation de cryptoactifs. Pour élaborer ce cadre réglementaire, les organismes de réglementation ont tenu compte des approches adoptées par les autorités de réglementation en valeurs mobilières d’autres pays à l’échelle mondiale. Succédant à d’autres directives publiées antérieurement[1] en la matière, le projet d’encadrement vise à clarifier les obligations réglementaires, tenir compte des risques auxquels les investisseurs sont exposés et accroître l’intégrité des marchés de négociation de cryptoactifs.
Selon le document de consultation, plus de 2 000 cryptoactifs sont négociés sur plus 200 plateformes destinées à cette fin, et bon nombre de ces plateformes sont exploitées à l’échelle mondiale, sans aucune surveillance réglementaire. Les organismes de réglementation rapportent qu’en 2018, des cryptoactifs d’une valeur de près d’un milliard de dollars américains ont été volés à des plateformes exploitées mondialement. Les organismes de réglementation de partout dans le monde cherchent donc laborieusement la façon appropriée de réglementer ces plateformes. Au Canada, aucune d’entre elles n’est reconnue à titre de bourse ni autorisée à exercer une activité de marché ou de courtier de cryptoactifs. Dans le cadre de cet exercice d’élaboration d’une structure réglementaire visant les plateformes de négociation de cryptoactifs au Canada, le document de consultation a invité la communauté fintech et les autres parties intéressées à fournir leurs commentaires.
Les organismes de réglementation soulignent que les cryptoactifs ne répondent pas uniformément aux définitions classiques prévues par les lois canadiennes en matière de valeurs mobilières, car ceux-ci peuvent différer entre eux de par leurs fonctions, leurs structures, leur gouvernance et leurs droits. En ce qui concerne par exemple les émissions de « jetons utilitaires », lesquels permettent à leurs porteurs d’avoir accès à des biens ou d’en acquérir au moyen d’un réseau élaboré par les créateurs des jetons, ceux-ci impliquent habituellement un placement de titres prenant la forme d’un contrat d’investissement, alors que d’autres cryptoactifs sont des titres classiques prenant la forme de jetons crypto. D’autres encore, comme c’est le cas du bitcoin, servent plutôt de mode de paiement ou de devise échangeable et comportent des caractéristiques les rapprochant de la marchandise plutôt que du titre. Compte tenu de la diversité des actifs qu’il est possible de négocier sur les plateformes, les organismes de réglementation indiquent qu’il faut évaluer la façon dont s’effectue la négociation afin de déterminer si un titre ou un dérivé pourrait ou non être en jeu. En outre, puisque les plateformes de négociation peuvent remplir diverses fonctions similaires à celles d’une bourse, d’un marché, d’un système de négociation parallèle, d’un dépositaire, d’un courtier ou d’une chambre de compensation, il est difficile de les définir aux termes de la réglementation actuelle. Voici quelques-uns des facteurs que les organismes de réglementation examinent actuellement dans le cadre de cette évaluation :
Le projet d’encadrement est fondé sur le cadre réglementaire existant applicable aux marchés canadiens. Il intègre des obligations pertinentes pour les courtiers qui facilitent la négociation ou font le commerce de valeurs mobilières et est adapté en vue de tenir compte des fonctions distinctes que peut exercer chaque plateforme. Il s’appliquera aux plateformes exploitées au Canada ou qui ont des participants canadiens, sont assujetties à la législation en valeurs mobilières et auxquelles l’encadrement réglementaire actuel n’est pas adapté.
Aux termes du projet d’encadrement, il est prévu ce qui suit :
Garde et vérification des actifs. Dans de nombreux cas, au lieu que les cryptoactifs ne soient détenus dans des portefeuilles privés contrôlés par les utilisateurs, ce sont les plateformes qui en ont la garde et qui contrôlent les clés privées de leurs participants. En outre, une séparation insuffisante entre les actifs des investisseurs et ceux de la plateforme entraîne des risques en cas d’insolvabilité de celle-ci. Des contrôles appropriés en matière de garde sont donc essentiels à la gestion des risques. Comme il a récemment été démontré par le cas des investisseurs qui détenaient des actifs sur la plateforme Quadriga CX, la perte d’une clé privée peut avoir des conséquences dévastatrices. Les organismes de réglementation proposent de fixer des exigences obligeant les plateformes à se doter d’un rigoureux système de politiques et procédures en matière de gestion des risques, de contrôles internes, et de tenue des dossiers, qui fait en sorte que les cryptoactifs des participants sont pris en compte et séparés des actifs de la plateforme. On prévoit que les normes propres à la garde de cryptoactifs seront déterminées et mise en œuvre. La conformité aux normes sera maintenue par le truchement de vérifications indépendantes. Les organismes de réglementation recueillent les commentaires des personnes intéressées afin de déterminer les normes à adopter en matière de protection des actifs et de garantie de la mise en place de contrôles.
Risques liés à la cybersécurité et à l’intégrité des plateformes. Les bris de cybersécurité constituent l’un des plus grands risques pesant sur les plateformes de cryptoactifs. Pour l’atténuer, les plateformes, tout comme c’est actuellement le cas pour les marchés, ont l’obligation de soumettre leurs systèmes de négociation, de surveillance et de compensation à des contrôles internes adéquats et à des contrôles adéquats en matière de technologie de l’information, ainsi que de procéder à des contrôles de la sécurité de l’information. Elles devront également retenir les services d’une entité d’expérience pour que celle-ci effectue un examen indépendant des systèmes liés aux contrôles internes et aux protocoles de sécurité. Les organismes de réglementation recueillent les commentaires des personnes intéressées afin de déterminer s’il conviendrait dans certains cas d’accorder une dispense de l’obligation de procéder à un examen indépendant des systèmes.
Assurance. La plupart des plateformes sont actuellement exploitées sans aucune couverture d’assurance. Les organismes de réglementation soulignent qu’il est très difficile et coûteux de se procurer une assurance, car beaucoup de banques et compagnies d’assurance évitent les cryptoactifs, et parce que le risque de cyberattaques demeure élevé. Les organismes de réglementation recueillent les commentaires des personnes intéressées afin d’explorer d’autres mesures équivalentes à la couverture d’assurance, en vue de protéger les investisseurs.
Manque de transparence quant au prix, au volume, aux ordres et aux opérations. Chaque cryptoactif est différent et comporte des risques qui lui sont propres. Actuellement, il n’existe aucune norme de qualité ni aucun seuil à respecter pour la négociation d’un cryptoactif sur une plateforme quelconque. Les participants disposent de peu d’information sur la liquidité de cryptoactifs particuliers. Il est pourtant important que tous les participants comprennent comment les cours sont établis, et qu’ils puissent déterminer s’il s’agit ou non de justes prix. Comme c’est le cas pour les marchés classiques, aux termes du projet d’encadrement, les plateformes devront favoriser la formation des cours des actifs qu’ils offrent à la négociation et toute plateforme réalisant des opérations contre les ordres de ses participants à titre de teneur de marché devra offrir un juste prix aux participants. Les organismes de réglementation recueillent les commentaires des personnes intéressées afin de déterminer d’une part, quels sont les facteurs à prendre en compte aux fins de l’établissement d’un juste prix pour les cryptoactifs et d’autre part, s’il existe des sources fiables d’établissement des cours qui permettraient d’évaluer si une plateforme a respecté les obligations à cet égard.
Surveillance des activités de négociation. Selon le type de marché, différentes obligations s’appliquent quant à la surveillance des activités de négociation et à l’application des règles visant l’intégrité du marché. Les bourses, par exemple, ont l’obligation de surveiller les activités de négociation à la bourse. Les systèmes de négociation parallèle en revanche, doivent faire appel à un fournisseur de services de réglementation pour surveiller le marché et exercer des activités d’application de la loi. Sur les plateformes de cryptoactifs, l’ensemble des activités de négociation n’est pas assujetti à la surveillance, ce qui favorise les activités de négociation manipulatrices et les opérations invisibles. Les organismes de réglementation ont proposé qu’un organisme tel que l’OCRCVM se charge de la surveillance et des mesures d’application de la loi sur les plateformes de cryptoactifs. Toutefois, on reconnaît l’existence de difficultés particulières quant à la surveillance des plateformes de négociation de cryptoactifs, notamment l’absence d’une source centrale pour l’établissement des cours, le fait que les cryptoactifs soient négociés 24 heures sur 24 à l’échelle mondiale, et la nature volatile de ces derniers. Afin d’atténuer les risques, les organismes de réglementation proposent d’imposer certaines restrictions quant à la négociation de cryptoactifs en vue d’éliminer les opérations invisibles, les ventes à découvert ainsi que le consentement de marges aux participants. Les organismes de réglementation recueillent les commentaires des personnes intéressées quant aux outils appropriés pour la surveillance des marchés et aux obligations à appliquer pour voir à l’intégrité de ces derniers.
Compensation et règlement. À l’heure actuelle, il n’existe pas de chambre de compensation pour les cryptoactifs. Les organismes de réglementation sont à déterminer s’il convient d’accorder une dispense de l’obligation de déclarer les opérations à une chambre de compensation et de les régler par l’entremise de celle-ci. Le cas échéant, les plateformes visées devront se doter de politiques, de procédures et de contrôles visant certains risques associés au règlement d’opérations. Lorsque les cryptoactifs sont transférés au moyen d’un protocole de chaîne de blocs décentralisé, la plateforme sera tenue de mettre en place des contrôles pour tenir compte des risques technologiques et opérationnels. Les organismes de réglementation recueillent les commentaires des personnes intéressées afin de se renseigner sur les modèles de compensation et de règlement de cryptoactifs qui existent et les risques associés au modèle décentralisé.
Conflits d’intérêts. Les organismes de réglementation envisagent également d’imposer des protocoles en matière de communication des renseignements qui obligeront les plateformes à déterminer et gérer les conflits d’intérêts potentiels, notamment en faisant savoir qu’elles réalisent des opérations pour compte propre contre les ordres de leurs participants (le cas échéant), et d’indiquer les conflits d’intérêts y afférents. Ce genre d’information permettra aux participants potentiels de prendre une décision plus éclairée lorsqu’il s’agit de déterminer s’ils veulent participer à la négociation sur une plateforme. Les organismes de réglementation recueillent les commentaires des personnes intéressées en ce qui a trait aux exigences de communication de renseignements propres aux opérations entre une plateforme et ses participants et en vue de déterminer si les modèles d’affaires actuels sont en mesure de gérer adéquatement les conflits d’intérêts.
Le document de consultation présente une liste de 22 questions spécifiques à l’intention de la communauté fintech et des autres parties intéressées.
Le 28 mars 2019, des représentants de la Rampe de lancement de la CVMO ont participé à notre série de discussion entre experts sur la chaîne de blocs. Dans le cadre des discussions, nous nous sommes penchés sur les dernières tendances en matière de chaîne de blocs et sur le rôle important des intervenants clés qui façonnent l’avenir de cette technologie, y compris dans le domaine des plateformes de négociation de cryptoactifs. Le 4 avril 2019, des représentants de la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO) et des Autorités canadiennes en valeurs mobilières d’autres provinces/territoires ont participé à la FFCON19 Fearless Fintech and Funding Conference à Toronto afin d’expliquer le projet de règlement plus en détail et de réitérer leur volonté de connaître l’avis des diverses parties intéressées.
Le projet d’encadrement réglementaire revêt une grande importance pour ce marché en pleine évolution. Les personnes intéressées sont donc fortement encouragées à fournir des commentaires novateurs, et ce, avant la date limite du 15 mai 2019, afin d’aider les organismes de réglementation à créer un cadre adapté aux plateformes exploitées au Canada ou que l’on prévoit y exploiter.
Pour toute question concernant le projet de réglementation des plateformes de cryptoactifs, ou pour obtenir de plus amples renseignements à ce sujet, veuillez contacter un membre de l’équipe de Gowling WLG se spécialisant au chapitre des Marchés financiers et des cryptoactifs :
Vancouver - Brett Kagetsu, Stefan McConnell, Denis Silva
Calgary - Gord Chmilar
Toronto - Ian Palm, Andre Poles, Kathleen Ritchie, Jason Saltzman, Usman Sheikh
Waterloo - Bryce Kraeker
Ottawa - Lorraine Mastersmith
Montréal - Naïm Antaki, Michael Garellek, Jean-François Pelland
[1] Avis 46-307 du personnel des ACVM, Les émissions de cryptomonnaie; Avis 46-308 du personnel des ACVM, Incidences de la législation en valeurs mobilières sur les émissions de jetons.
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