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Les sciences de la vie au Canada : revue des faits saillants de 2022
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Les tribunaux canadiens ont rendu de nombreuses décisions dans le secteur des sciences de la vie en 2022. Le présent article résume les plus notables en plus de présenter d'autres développements récents de 2022 en la matière.
- Décisions aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité)
- Rejet d'une action intentée en vertu du statut des monopoles confirmé en appel
- Avantages conférés par l'inscription d'un brevet : la Cour fédérale confirme que pour en bénéficier il faut commercialiser un médicament sur le marché canadien
- Modifications au Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité)
- Certificats de protection supplémentaire : bilan quinquennal
- Nouvelles règles et procédures visant les demandeurs de brevets
1. Décisions aux termes du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité)
Plusieurs décisions touchant la contrefaçon et l'invalidité ont été publiées dans le cadre de poursuites intentées en vertu du paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité). Vous trouverez le résumé ci-dessous de quatre de ces décisions, de même que celui d'une décision interlocutoire d'intérêt.
La décision de la CAF dans l'affaire Pharmascience v Bristol-Myers Squibb (2022 FCA 142) (en anglais) liée à un brevet couvrant le médicament anticoagulant apixaban a confirmé la validité de deux brevets dans le cadre de nombreuses attaques pour invalidité. Mentionnons en particulier l'allégation d'insuffisance de Pharmascience, qui soutenait que c'était la demande telle que déposée, plutôt que le brevet tel qu'octroyé, qui devait être prise en compte au motif de l'insuffisance, et donc que les revendications modifiées pendant la poursuite de la demande de brevet visant le composé apixaban ne devaient pas être considérées aux fins d'évaluer l'insuffisance. Pharmascience a fait valoir que la demande telle que déposée, laquelle ne contenait aucune revendication particulière relativement au composé apixaban, ne divulguait aucune invention au moment de la date du dépôt du brevet ou de sa publication. La CAF a rejeté l'argument de Pharmascience, établissant une distinction entre la date utilisée pour déterminer l'insuffisance et le document au moyen duquel l'évaluation de l'insuffisance doit s'effectuer (c'est-à-dire, le brevet tel qu'il est octroyé).
Dans le dossier 2022 FCA 184 (en anglais), la CAF a rendu une décision dans un appel concernant la validité d'un brevet détenu par Janssen et lié au traitement du cancer de la prostate au moyen de la coadministration de l'acétate d'abiratérone et de prednisone. Cette décision est intéressante en ce sens qu'elle met en lumière la volonté de la CAF de conclure, à trois reprises, que les motifs et le jugement de la décision sous-jacente de la Cour fédérale contenaient des énoncés erronés – tous considérés comme des « lapsus » [Traduction] – et la volonté de la CAF de « corriger » apparemment ces erreurs en vertu de la Règle 397(2). En fin de compte, l'appel a été rejeté, et les revendications de Janssen ont été jugées évidentes.
Le brevet couvrant le produit JANUVIA de Merck's a quant à lui fait l'objet d'une décision de première instance qui s'est soldée par un jugement pour contrefaçon et le rejet d'un argument d'invalidité dans l'arrêt publié 2022 CF 417. Le brevet en cause revendiquait, entre autres, un énantiomère d'une forme saline particulière et une forme cristalline de l'ingrédient actif, la sitagliptine. Le concept inventif du brevet résidait dans le fait de pouvoir obtenir des propriétés bénéfiques par rapport à la sitagliptine sous forme de base libre. Puisque l'art antérieur sur lequel la défenderesse, Pharmascience, s'appuyait, n'incitait pas à choisir le composé de la sitagliptine en particulier, ni vers la forme saline spécifique ou la forme cristalline revendiquée, et encore moins à ses propriétés bénéfiques, l'objet revendiqué ne résultait pas d'un essai allant de soi, et donc la défense d'évidence de Pharmascience a échoué.
La décision dans l'affaire Janssen v Apotex, 2022 FC 996 (en anglais) avait trait à une allégation d'incitation à la contrefaçon. Le brevet en cause, revendiquait de manière générale l'utilisation de l'ingrédient actif, macitentan, combiné à un autre médicament, soit l'inhibiteur de la PDE5. Les indications de la monographie du produit de l'innovateur (Janssen) et du contrefacteur (Apotex) ne mentionnaient apparemment pas la combinaison, bien que les indications proposées d'Apotex soient caviardées. L'affaire a été tranchée principalement grâce au deuxième volet du test à trois critères, à savoir si les actes de contrefaçon directe sont influencés par les actes de l'incitateur au point où sans ladite influence, il n'y aurait pas eu de contrefaçon directe. Étant donné que l'utilisation du macitentan s'effectue principalement en combinaison avec l'inhibiteur de la PDE5, que la monographie du produit d'Apotex fait référence, entre autres, à une importante étude clinique établissant que le macitentan est sécuritaire et efficace lorsque combiné aux inhibiteurs de la PDE5, la Cour a conclu à la contrefaçon par incitation.
L'affaire Bayer c. Sandoz (2022 CF 1187) est une décision interlocutoire liée à une tentative par la deuxième personne de réviser sa défense en invalidité à un stade tardif de la procédure en raison d'un changement d'avocats. Cette mesure comprenait la tentative d'introduction tardive d'une allégation d'évidence fondée sur 38 éléments d'antériorité alléguée. Reconnaissant le préjudice qu'une telle modification pourrait avoir sur la première personne, la Cour a tout de même autorisé Sandoz à déposer sa défense proposée modifiée, mais a conclu qu'au vu des nombreuses défenses proposées, cela mènerait à l'ajournement du procès et à une prolongation correspondante du sursis prévu par la loi de 24 mois.
2. Rejet d'une action intentée en vertu du statut des monopoles confirmé en appel
Dans le dossier Apotex v Eli Lilly (en anglais), la Cour d'appel de l'Ontario a confirmé une décision de la Cour supérieure de justice de l'Ontario qui avait rejeté les revendications d'Apotex visant : (i) des dommages-intérêts triples en vertu du statut des monopoles au Royaume-Uni et en Ontario; (ii) des dommages-intérêts ou une restitution des profits en vertu de la Loi sur les marques de commerce; et (iii) des dommages-intérêts pour délit civil de complot. Les actions visaient l'obtention de réparations pécuniaires pour la période où Apotex n'avait prétendument pas pu commercialiser une version générique du médicament olanzapine, en raison à la fois de l'application du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), promulgué aux termes de la Loi sur les brevets, et d'une ordonnance de la Cour à l'encontre d'Apotex émise en vertu de ce même Règlement.
Chaque revendication d'Apotex a été rejetée sur le fond particulier de chacune, en plus d'être toutes rejetées dans leur ensemble, puisqu'elles étaient fondées sur un préjudice prétendument causé par l'application de la loi plutôt que par les défendeurs. En effet, les actions de ces derniers étaient autorisées par la loi et le régime législatif applicable constituait un code complet qui ne permettait pas les recours visés par les demandeurs.
Il s'agit de la première décision définitive en appel rendue dans le cadre d'une série d'actions intentées par Apotex pour des revendications similaires devant les cours supérieures de l'Ontario et du Québec.
Lisez cet article (en anglais) pour un résumé complet de la décision de la Cour supérieure de justice de l'Ontario.
3. Avantages conférés par l'inscription d'un brevet : la Cour fédérale confirme que pour en bénéficier il faut commercialiser un médicament sur le marché canadien
Dans l'affaire AbbVie Corporation v Canada (Health), le juge Fothergill de la Cour fédérale a confirmé la conclusion du ministre de la Santé selon laquelle pour pouvoir bénéficier du régime de mise en lien avec les brevets, les entreprises pharmaceutiques innovantes doivent commercialiser leurs médicaments sur le marché canadien.
La Cour fédérale a accepté l'interprétation du ministre de la Santé de l'article 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) en concluant que la référence à une « drogue » doit être propre à un DIN précis. Par conséquent, JAMP ne constituait pas une « seconde personne » et n'avait donc pas l'obligation de tenir compte des brevets d'AbbVie liés à son médicament biologique HUMIRA, qui connaît un grand succès, pour pouvoir commercialiser son produit biosimilaire SIMLANDI.
Cette affaire établit le fait que la revendication d'un brevet en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité) est uniquement accessible aux innovateurs qui commercialisent leurs drogues innovantes au Canada conformément à des DIN leur étant propres. Tant la Cour fédérale que Santé Canada ont réitéré que l'article 5(1) prévoit une exigence explicite quant à la commercialisation. Les médicaments n'ayant pas été mis en vente ou ayant été retirés du marché de sorte que leur DIN est annulé ou inactif, ne seront pas, selon cette affaire, considérés comme étant commercialisés sur le marché canadien. L'appel interjeté par AbbVie à cet égard est en instance.
Pour un résumé plus détaillé de la décision, veuillez consulter cet article (en anglais seulement).
4. Modifications au Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité)
C'est le 1er juillet 2022 que sont entrées en vigueur les modifications au Règlement sur les médicaments brevetés (Avis de conformité), dont l'adoption a été reportée à plusieurs reprises durant la pandémie de COVID-19. Toutefois, le gouvernement n'a mis en œuvre que deux modifications, soit la modification du panier de pays de comparaison et la réduction des exigences de déclaration pour certains médicaments.
Après avoir consulté des intervenants concernés, le ministre de la Santé a annoncé en avril 2022 que le gouvernement ne mettrait pas en œuvre les autres modifications annoncées antérieurement, à savoir les nouveaux facteurs réglementaires et le nouveau calcul des prix de médicaments brevetés. Mentionnons que le ministre a fait son annonce après la publication d'une décision de la Cour d'appel du Québec datant de février 2022, dans le cadre de laquelle ces nouveaux facteurs réglementaires et ce nouveau calcul des prix ont été invalidés et déclarés ultra vires.
Compte tenu de l'entrée en vigueur des modifications retenues, le panier de pays de comparaison comprend maintenant onze pays : l'Australie, la Belgique, la France, l'Allemagne, l'Italie, le Japon, les Pays-Bas, la Norvège, l'Espagne, la Suède et le Royaume-Uni. Deux pays, la Suisse et les États-Unis, ont été retirés du panier de pays de comparaison.
En octobre 2022, le Conseil d'examen du prix des médicaments brevetés a publié de nouvelles lignes directrices provisoires (article en anglais) pour la mise à exécution des modifications. La période de consultation a pris fin en décembre 2022 et on prévoit que de nouvelles lignes directrices seront mises en œuvre en 2023.
5. Certificats de protection supplémentaire : bilan quinquennal
Septembre 2022 marquait le cinquième anniversaire du régime canadien des certificats de protection supplémentaire (CPS). Les CPS procurent une durée de protection maximale de deux ans pour les brevets visant de nouveaux ingrédients médicinaux, à condition que l'approbation réglementaire soit demandée au Canada dans un délai d'un an par rapport aux demandes déposées dans d'autres pays comparables. C'est aussi en 2022 qu'a eu lieu le dépôt de la 100e demande de CPS, ce qui laisse supposer une introduction rapide de nouveaux médicaments sur le marché canadien.
Malgré une augmentation initiale du nombre de demandes de contrôles judiciaires concernant des demandes de CPS refusées, ainsi qu'une certaine résistance de la part de la Cour fédérale au cours des années précédentes (voir ici), les tribunaux se sont peu exprimés sur les CPS en 2022. Il est à noter que la Cour fédérale n'a pas encore été appelée à déterminer la validité d'un CPS. Cependant, pour de nombreux médicaments associés à des CPS, la période de protection des données de six ans durant laquelle il est interdit de déposer une demande expirera au cours des prochaines années, ce qui donnera sans doute lieu à une hausse des contestations visant la validité des CPS.
De façon générale, les demandes de CPS affichent un pourcentage d'approbation élevé et bénéficient de l'entièreté de la période de protection de deux ans. La grande majorité des demandes de CPS sont fondées sur des présentations réglementaires pour un usage humain (seulement cinq demandes de CPS ont été déposées pour des produits à usage vétérinaire). En ce qui concerne l'objet des CPS, les anticorps monoclonaux et les inhibiteurs à petites molécules sont les deux types d'ingrédients médicinaux les plus fréquemment visés dans le cadre d'une demande de CPS.
Vous trouverez ici d'autres faits intéressants au sujet des cinq premières années de CPS au Canada.
6. Nouvelles règles et procédures visant les demandeurs de brevets
Les modifications aux Règles sur les brevets du Canada visant la taxe sur les revendications excédentaires et les requêtes de poursuite de l'examen (RPE) sont entrées en vigueur en 2022. Plus précisément, en ce qui concerne les demandes pour lesquelles une requête d'examen a été soumise le 3 octobre 2022 ou après cette date :
- la taxe s'élève à 100 $ CA par revendication excédant la limite de 20, ou à 50 $ CA pour les petites entités. Puisqu'une revendication dépendante multiple compte pour une seule revendication, il peut s'avérer utile pour les demandeurs d'y recourir, car ce type de revendication permet d'augmenter la portée de la couverture tout en minimisant les coûts;
- un demandeur souhaitant faire une requête pour la poursuite d'un examen après l'émission de trois rapports d'examen (rapports du Bureau) doit déposer une RPE et payer une taxe de 816 $ CA, ou de 408 $ CA pour une petite entité. Suite au dépôt de la première RPE et de toute RPE subséquente, deux rapports d'examen pourront être émis avant qu'il ne devienne nécessaire de déposer une nouvelle RPE; et
- si une demande est considérée comme recevable sous réserve de la correction par le demandeur de certaines irrégularités mineures, l'examinateur peut émettre un avis d'acceptation conditionnelle invitant le demandeur à corriger lesdites irrégularités et à payer la taxe finale, faute de quoi l'avis d'acceptation conditionnelle pourra être retiré et l'examen pourra être poursuivi.
Pour obtenir plus d'information au sujet de ces modifications, veuillez consulter cet article.
Si vous désirez en savoir plus, n'hésitez pas à communiquer avec un membre de notre groupe Sciences de la vie.
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